Ca veut dire quoi, faire un portrait ?
« Le portrait : une alchimie », c’est un titre, je trouve, qui dit bien ce que signifie pour moi faire du portrait. Il existe autant de manière de faire du portrait que de photographes. Chacun sa démarche, sa méthode, sa finalité ! Faire un portrait, ça peut aller de se contenter de faire une « belle image », un joli portrait tout en surface, comme d’aller chercher quelque chose de plus profond chez son modèle. Comme c’était le cas chez Richard Avedon ou Irving Penn qui tous deux voulaient que la photo exprime la psychologie de leur modèle.
Sans chercher en aucune mesure à me comparer à ces deux maîtres absolus du portrait, c’est vraiment dans cette démarche là que je m’inscris. Pour moi, un portrait, c’est de l’humain, une personne, une personnalité. Ce qui m’intéresse d’abord et avant tout comme photographe portrait, c’est de parvenir à cerner la personnalité de mon modèle. Il n’y a rien que je trouve plus insipide qu’un portrait qui ressemble à un autre. Où l’on se contente d’interchanger les modèles ! C’est malheureusement un peu là-dedans qu’on tombe quand on veut rentabiliser sa pratique du portrait. C’est la tentation de la facilité !
Le portrait vu comme une « lutte »
Le portrait est une pratique photo vraiment difficile. Elle est difficile car elle est un exercice où le photographe se « confronte » (au sens propre) à l’autre. Le photographe et son modèle sont face à face. Le portrait, c’est un face à face. Et cette confrontation exige beaucoup de psychologie car le challenge du photographe est de mener son modèle là où il souhaite le faire aller. Et ce n’est pas toujours le photographe qui « gagne » à ce jeu là. Quand on peut dire qu’une séance est ratée, c’est que le modèle a su déjouer (involontairement bien sûr !) la stratégie du photographe. A contrario, quand le photographe a su établir un lien de confiance avec son modèle, tout n’est plus qu’une question de technique de prise de vue et de direction de modèle. L’essentiel est acquis. Le modèle s’est relâché.
Quand j’écris que « le portrait est une lutte« , ça signifie que le photographe et son modèle entrent dans un échange où il est question de lâcher prise. Et même si le modèle est volontaire dans cette démarche, lâcher prise est quelque chose de très difficile à faire face à un objectif. La « résistance » du modèle est une forme de protection de son intimité. D’où l’importance absolue d’établir une relation de confiance pour le photographe. La lutte, c’est ça. C’est cet échange entre le photographe et son modèle, un échange qui est un cheminement, lent, laborieux, fastidieux, vers une forme de libération. Le modèle ne se livrera que lorsque l’alchimie photographe/modèle aura débouché sur une confiance réciproque.
Au bout de l’alchimie : l’humain
Finalement, cette alchimie qui s’installe dans le portrait entre le photographe et son modèle va conditionner le résultat de la séance photo. Si j’ai intitulé mon article « Le portrait : une alchimie », c’est justement parce que cette alchimie là est la clef qui va ouvrir – ou non – pour le photographe l’accès à la personnalité de son modèle.
Réaliser un portrait n’est ni un acte anodin, ni un moment de détente. Du moins, pour le photographe que je suis. Faire du portrait, c’est pour moi, d’abord, essayer de comprendre la personne que j’ai en face de moi et, ensuite, tenter de laisser s’exprimer ce que cette personne a d’essentiel, d’unique. C’est la magie des relations humaines !
C’est vraiment passionnant de rentrer dans cette relation privilégiée. Le photographe, là, entre peu à peu dans l’intimité de son modèle. Sa personnalité est mise à nu. Il n’y a rien de plus enthousiasmant que d’être dans cette relation humaine où on touche à ce que l’être a de plus sensible. Son humanité. La crainte est toujours là même : être jugé. Mais le photographe ne juge pas, il révèle. Son intention est de révéler la beauté de son modèle. J’entends par « beauté » ce qui fait que chacun est singulier, unique. La « beauté » n’est pas plastique ! Quelle terrible méprise ! Elle est profondément humaine !
Comme photographe portrait, je ne recherche que ça, capturer l’humanité en chacun de nous. Sa part d’enfance pour être tout à fait clair. Avec tout ce qu’elle implique de complexité d’accès ! C’est une quête extraordinaire ! Baudelaire écrivait : « Le génie, c’est l’enfance retrouvée à volonté ». Il parlait surtout de l’artiste. Mais c’est encore plus extraordinaire quand le génie de l’enfance s’exprime dans un échange entre le photographe et son modèle !