L’ART DU PORTRAIT
Le portrait est un art à Part. Photographe portrait, c’est une pratique spécifique. On n’exerce pas l’art du portrait comme n’importe quelle autre discipline en photographie. C’est du moins mon opinion de photographe professionnel. C’est que le portrait photo est un face à face entre le photographe et son modèle. Tout l’art consiste pour le photographe portrait à capter, par sa photo, quelque chose d’une personne, quelque chose de sa singularité, à saisir l’intériorité de son sujet. Et c’est bien ça le plus difficile dans le portrait. Exprimer via un portrait le caractère d’un modèle. Tout l’art consiste à y parvenir à travers une image photographique. La grande question, c’est comment un photographe portrait y parvient-il ?
Dans la pratique du portrait, il existe plusieurs domaines d’exercice : le portrait artistique, le portrait corporate ou professionnel et le portrait privé. Pour le photographe, chacune de ces pratiques est différente, parce que les attentes sont diverses. Le photographe expérimenté s’adapte à cette diversité de finalité.
LE PHOTOGRAPHE PORTRAIT ET SON MODELE
Il faut tout d’abord dire deux mots du rapport entre le photographe et son modèle. On a beaucoup écrit sur ce sujet. Aucun photographe portrait n’aborde son sujet de la même manière. Aucun n’a la même approche relationnelle, ni la même méthode dans la prise de vue. Car la question est comment créer une relation de confiance avec la personne à photographier. Et comment faire en sorte que cette personne exprime sa personnalité.
Les photographes qui cherchent à dépasser les apparences sont confrontés à cette difficulté. Dans ce cas, chacun sa méthode. Certains sont plus percutants (Richard Avedon), là où d’autres procèdent davantage en douceur (Irving Penn). Pour ma part, je combine les deux approches photographiques, en établissant une relation avec mon sujet et en le poussant à exprimer sa personnalité. C’est un peu un travail d’équilibriste. Mais l’essentiel est dans la confiance. Un modèle portrait en confiance se libèrera davantage et affirmera sa personnalité bien plus facilement. L’ennemi du photographe portrait, c’est la pudeur. Il lui faut abattre les protections de façade en mettant en place une relation de confiance.
PORTRAITS ET PRATIQUES
Le portrait personnel
J’aime beaucoup pratiquer le portrait personnel, ou privé, car c’est dans cet exercice que le photographe a le plus de liberté. Quelqu’un qui vient voir un photographe pour faire des portraits ne sait en principe pas trop quelles sont ses attentes. Ou plutôt, ce que veut cette personne, c’est que le photographe montre d’elle ce qu’elle a de plus séduisant. On peut dire en image la beauté de quelqu’un sans pour autant tricher avec la réalité. C’est plutôt, de la part du photographe, avoir un point de vue et une intention particulière. Il y a de la beauté en chacun de nous, j’en suis pour ma part totalement convaincu. La question est : comment parvenir à saisir cette beauté-là ? C’est précisément tout l’art du portrait !
Le plus difficile finalement pour un photographe portrait, c’est de saisir la beauté d’une personne sans tricher. C’est-à-dire sans artifices, à la prise de vue, et en post-traitement. En bref ; sans effets spéciaux ! La beauté au naturel. En instantané. C’est bien ça l’enjeu. Et c’est une gageure pour le professionnel que je suis. Je passe quasiment autant de temps à mettre en place une relation de confiance qu’à réaliser des clichés de portrait. C’est dire si l’essentiel, pour faire de belles photos de portrait, est dans le relationnel !
Deux heures de prise de vue. Une heure de bavardages ! C’est là le secret ! Faire d’une séance photo un moment de découverte, de détente, de confiance. Sans cette démarche, je crois qu’on ne peut pas dépasser la surface d’une personne. On reste superficiel. Alors, certes, les photos sont esthétiquement très belles. Mais que disent-elles vraiment de cette personne-là ? Qu’expriment-elles de sa personnalité, son caractère, son état d’esprit. Pas grand-chose. Le photographe portrait, pour parvenir à cela est dans l’obligation de travailler sur le relationnel. C’est dans la relation, dans la communication, que les voiles se lèvent !
Le portrait d’artiste
Quand on dit : portrait d’artiste, on dit deux choses. Portrait d’artiste. Et portrait artistique. Pour le portrait artistique, ça concerne la démarche du photographe. Dans ce cas, c’est lui l’artiste et ses portraits sont réalisés en totale liberté de choix quant aux conditions de prise de vue, de mise en scène et de rendu photographique. En règle générale, dans notre métier, le photographe professionnel réalise des portraits d’artiste. Il s’agit donc d’une commande. Le professionnel, dans ce cas, n’est pas totalement libre car il répond à une demande.
Cependant, le photographe portrait peut à la fois répondre à la demande tout en cherchant à saisir la singularité de son modèle. L’un n’empêche pas l’autre. Le portrait d’artiste reste somme toute la vision qu’a le photographe de son sujet. La photographie, c’est toujours un point de vue. C’est invariablement le regard d’un photographe porté sur une personne. Et même si l’idée est de faire ressortir la pratique de l’artiste à photographier, il n’en reste pas moins qu’en dernier instance il s’agit toujours en filigrane de la vision du photographe portrait.
Le portrait corporate
Le portrait corporate ou professionnel, c’est tout autre chose. D’abord, c’est une photographie actuellement très stéréotypée. Il suffit de taper photographe de portrait corporate sur les moteurs de recherche pour s’apercevoir qu’en gros tout se ressemble un peu. Et c’est bien dommage ! Dans le cas du portrait corporate, la demande est assez souvent très précise. C’est presque un cahier des charges ! Car le portrait professionnel est destiné à un usage – sur le web, un intranet, une publication, etc. – très circonscrit, très codifié. Son intention est toujours d’exprimer des notions chères à l’entreprise : compétence, assurance, maîtrise, etc.
Pour ma part, j’essaie justement de sortir un peu de tout ça. Le portrait corporate est influencé par la publicité. C’est qu’il cherche à « vendre » lui aussi ! A vendre une compétence, un produit, un service, etc. Son but est de convaincre des « clients ». Nous sommes là dans un contexte commercial. Mais, il reste possible aujourd’hui, plus qu’hier, de sortir de cette vision, pour revenir à des conceptions plus authentiques, plus naturelles. L’entreprise cherche à s’humaniser en ces temps de déshumanisation. C’est un bon axe pour le photographe portrait que je suis, car ça me permet de proposer une autre photographie, plus authentique et naturelle. Sortir du portrait corporate façon « Harcourt » pour aller vers une photographie plus humaine. C’est là mon objectif. Et les clients qui me contactent le font précisément pour le rendu photographique de mon travail.
PORTRAIT EN STUDIO
Pour être tout à fait transparent, le portrait en studio, ce n’est clairement pas ma tasse de thé ! Je ne le pratique que pour mon travail artistique. Car alors je peux maîtriser mon éclairage, ma scénographie, mon rendu. J’aime beaucoup regarder les portraits réalisés par Irving Penn. Son travail est exceptionnel. Il est exceptionnel d’abord par ce que le photographe a une liberté totale dans sa démarche. Pas de contrainte. Pas d’exigence. Le photographe portrait est porté par sa seule vision artistique. Son ambition picturale, si l’on peut dire.
Certes, je réalise des prise de vue en studio ou avec un studio mobile en entreprise pour des prestations portrait. Mais je n’en fais pas ma priorité professionnelle comme photographe. Ca reste un travail intéressant, certes. Mais j’avoue être plutôt porté vers une autre photographie. Plus humaine, plus authentique, plus libre. C’est que le travail de portrait en studio conceptualise beaucoup les choses. D’abord, le décor est artificiel, voire inexistant la plupart du temps. L’éclairage créé une ambiance elle aussi artificielle. Et enfin, le rendu des portraits est de fait conceptuel. C’est-à-dire que c’est une abstraction picturale. Le réalisme n’est pas sa finalité.
PORTRAIT EN EXTERIEUR
Autant j’apprécie moyennement le portrait en studio, autant j’adore le portrait en extérieur ou dans un lieu authentique. Forcément ! On est dans une photographie que j’apprécie beaucoup. Réaliste et naturelle. Avec un éclairage lui aussi naturelle, dans la mesure du possible. Comme photographe, j’aime le portrait en extérieur, toujours pour la même raison : parce que ça me permet de chercher à dire quelque chose de la personnalité de quelqu’un. Et c’est essentiel pour mon travail de photographe portrait. Du moment où je perds contact, peu ou prou, avec l’humain, je perds ce qui fait l’essence de ma démarche : l’humanité.
Photographier une personne dans un lieu particulier, en intérieur ou en extérieur d’ailleurs, dans le lieu que cette personne a choisi (nature, urbain, classique, moderne, etc.), c’est réaliser des portraits d’une personne dans un univers réel. Un univers qui lui correspond. Et c’est là très important. Car le portrait en extérieur, par le contexte qu’a défini le modèle, c’est déjà dire quelque chose de ce modèle, sa personnalité, ses goûts, sa psychologie. Comme photographe portrait, je m’imprègne de ça pour placer mon modèle dans un certain état d’esprit et réaliser mes clichés. On est là dans un travail sur l’humain ! Et l’humain passe avant le message !
LA LUMIERE : ARTIFICIELLE OU NATURELLE
La question du choix de la lumière en portrait est une question cruciale pour un photographe. Travailler en lumière naturelle n’a absolument rien à voir, ni dans la prise de vue, ni dans le rendu visuel, avec un travail en éclairage artificiel. Ce sont deux approches radicalement différentes. Alors, dans le cadre du métier de photographe, on n’a pas toujours le choix. Les conditions de prise de vue ne sont pas toujours à la discrétion du photographe portrait. Notamment en entreprise où l’éclairage artificiel est presque obligatoire pour un « rendu corporate ». Un photographe travaillera en lumière naturelle surtout pour ses commandes de portraits privé ou artiste. Il a plus de latitude.
Lumière naturelle, lumière artificielle. La première permet au photographe de rester en contact avec un certain réalisme, comme c’est par exemple le cas du reportage photos. La seconde, créée de fait une ambiance, un rendu visuel, davantage picturaux. Entre photo et peinture. Encore que… La frontière n’est pas aussi tranchée qu’il n’y parait. Un très bon photographe portrait peut rester très réaliste en maîtrisant parfaitement son éclairage artificiel. Il n’empêche, l’utilisation de flashs pour du portrait conceptualise et rend graphique de fait la photo qui en découle. Quoi qu’il en soit, dans la démarche qui est la mienne comme photographe portrait, la lumière naturelle est utilisée autant que faire se peut. Le flash n’étant pour moi qu’un éclairage de dernier recours.
LE PORTRAIT : REFLET DE L’ESPRIT
Le portrait en photographie, est-il vraiment le reflet de l’esprit ? Posée ainsi, la question a quelque chose de très philosophique. Si oui, par quel miracle le photographe parvient-il donc a capter ce reflet avec son appareil photos ? C’est, je crois, une vraie question pour un photographe portrait. Car, hors cette approche du portrait et ses implications visuelles, tout n’est plus que surface, apparence. Pas d’épaisseur. Pas de profondeur. Le portrait n’a d’intérêt qu’à partir du moment où il exprime une certaine profondeur. Une mise en abime, comme on dit en poésie. Et cette épaisseur n’est possible qu’avec l’expression d’une psychologie.
Pour moi, le portrait, c’est d’abord de la psychologie. La captation, le rendu visuel, ne sont que le prolongement de cette profondeur créé par l’esprit. Je crois que tous les photographes qui pratiquent le portrait sont, consciemment ou non peu ou prou, à la recherche de ça : saisir la personnalité de son modèle. Il me semble en tous cas. En définitive, pas de portrait sans psychologie. La photo doit refléter quelque chose de l’esprit du modèle, un état d’esprit, un état d’âme, une humeur… Et c’est ça le plus difficile à saisir !